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Catherine Hébert – Mango Films

Catherine Hébert, production de documentaires engagés.

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Torrecampo, Espagne – Franchir la barre…

Je crois que ça y est, que j’ai finalement franchi la barre. Dans le langage des pêcheurs, ça veut dire passer la vague redoutable qui les sépare de la haute mer. C’est l’endroit où le plateau continental plonge dans l’océan. Pour les pêcheurs côtiers, le défi est quotidien. La bateau est renversé par la barre ou réussi à la franchir pour se retrouver en haute mer. Une haute mer qui paraît plus calme. Les vagues sont plus larges, on peut voir venir et se laisser transporter doucement sur leur crête, puis redescendre dans leurs reins. Ce doux balancement repose du ressac, qui, lorsque sous-estimé, – dans la mer comme dans la vraie vie – vous prend et vous reprend et vous roule ce qui vous paraît comme mille fois, jusqu’à ce que vous ne sachiez plus où est le haut, où est le bas, où est le ciel, où est la terre, s’il y a encore un rivage ou juste un enfer salé. La barre donc. Dans le langage du voyageur, ça veut dire passer le cap de l’angoisse du départ, des questions qui vous assaillent (pourquoi suis-je partie ? qu’est-ce que je suis venue foutre ici ? un film ? quel film ?) et apprendre à vivre non pas au jour le jour, mais d’heure en heure.

Entre autres questions existentielles, celle de savoir où l’on va passer la nuit. Le sac de couchage (le duvet comme le dit mon Français de compagnon Marc) devient un indispensable. Quel obstacle peut se dresser entre vous et la pension la plus proche? Allez savoir. Vous avez déjà pensé à la clôture ? La simple barrière métallique pour éviter que ne s’éparpille le bétail ? En cette terre d’élevage de bœufs, de chèvres et de leurs moutons de maris, les barrières sont nombreuses. Marc, Babel et moi préférons nettement aller par veaux et par champs que par les autoroutes où la mince ligne blanche qui nous séparent des voitures n’a pas des allures de ligne de vie. Dans sa dernière chronique, Marc écrit : « Sur la route qui m’éloigne de Tolède, Catherine marche à reculons pour un plan de la ville qui s’efface peu à peu dans mon dos. Je lui passe la consigne – Évite de marcher sur la chaussée, on n’est pas dans un film avec des conducteurs figurants bienveillants à notre égard. On est dans la dure loi du macadam. Tout ce qui fait obstacle est poussé au fossé. » Moi, un obstacle ? Mieux vaut prendre le champ.

Les champs donc. Il y a un droit ancestral qui va par le nom de droit de passage. Il est supposé permettre à tout voyageur voyageant pied de pouvoir passer d’une propriété à une autre, sans entrave. Au royaume de la ligne blanche, c’est un droit qui se traduit davantage en principe qu’en passage.

Mardi le 10 novembre. Le soleil brille. Et nous longeons une barrière. Un léger vent nous rafraichit. Et nous longeons la barrière. Marc connait un moment d’euphorie en découvrant des champignons. Des coulmelles. Il paraît que braisés, avec une noix de beurre, on peut les plier et les manger comme une crêpe, et que c’est délicieux. Quelque chose me dit pourtant que nous ne trouverons ce soir-là ni braise, ni beurre. Marc s’offre tout de même le luxe d’une cueillette. Et hop , reprise. Nous longeons de nouveau la barrière. Collation. Et nous longeons la barrière. Au bout, point de sortie, mais une barrière perpendiculaire. Nous prenons à droite. Et nous longeons, et nous longeons, et nous longeâmes, et nous longeâmes. La perspective des coulmelles braisés commence à pâlir, tout comme le soleil d’ailleurs. Nous arrivons enfin au bout. Nouvelle barrière perpendiculaire. Marc porte toujours sur lui une paire de pinces bien coupantes, qui ont été utilisées plus d’une fois pour se frayer un passage. Mais voilà. En ces terres d’éleveurs, si nous coupons une clôture et que le bétail s’échappe, les coupables seront aisément identifiés et expulsés de ces terres amicales. Ce n’est pas tous les jours que les fermiers voient passer un homme, son âne, et une nana qui traîne derrière avec une caméra montée sur un support qui a des airs de kalachnikovs. Nous reprenons à droite donc. Pour ceux qui auraient échoué leur cours de géométrie : deux fois 90 degrés sur la droite, ça veut dire que nous revenons sur nos pas.

Ce soir-là, il n’y eut champignons au menu, ni fermier particulièrement hospitalier. Nous fût offerte une grange remplie de ballots de paille. Mon corps a eu froid à m’en faire mal. Des chocs électriques qui partaient de mes pieds et remontaient jusqu’à la tête. Je ne vais plus jamais voir un itinérant l’hiver dans les rues de Montréal sans me rappeler cette douleur par vagues. Une douleur qui n’atteint jamais la barre. Marc m’a fait la lecture d’un magnifique texte de Doris Lessing qui parlait de la poussière, de l’insupportable chaleur africaine, d’une mère, et de la soif de ses enfants. Rien à faire. Même le récit d’un volcan en éruption ne m’aurait pas réchauffée. Mais l’écoute de la lecture de Marc du fin fond de mon sac de couchage m’a – presque – réconciliée avec la grange.

La barre. Franchie donc. Ce qui veut dire que je me soucie peu de ce que je vais manger et d’où je vais dormir. Je vais, c’est tout. Je suis bien. Si on reste, on reste. Si on bouge, on bouge. Ma facilite grandement la vie l’arrivée d’un assistant qui se fait appeler Medu (de medusa = méduse, c’est une longue histoire), que Marc appelle systématiquement merlu, et que je me plais à appeler pulpo (poulpe). Un destin décidément aquatique. Sauf qu’au lieu de nager dans la mer, il nage dans la bière. Il n’a que 26 ans. Quand je suis avec lui, les Espagnols réfèrent à lui comme mon mari. Quand je suis avec Marc, ils réfèrent aussi à lui comme mon mari. Serais-je entre deux âges? En tout cas, nous devons former un sacré trio tous les trois.

Mon corps apprend la marche qui dure 7, 8 ou 9 heures par jour. Il y a évidemment des jours de repos entres les 3 ou 4 jours de marche que nous enchaînons. Mon esprit apprend l’humilité de la marche à pied. L’horizon, infranchissable, devient une obsession. Chaque village en vue est une victoire, chaque matelas, une bénédiction.

Arrivée à Torrecampo il y a deux jours. Nous sommes accueillis chez Rufina, la coordonnatrice nationale de l’UNESCO qui chapeaute le périple de Marc. Je suis couchée avant qu’elle n’arrive de Grenade, vers minuit. Je suis dans une chambre sans chauffage. Je gèle encore. À une heure du matin, on cogne à ma porte. Une énorme femme qui ressemble à une aubergiste, bien adipeuse, telle qu’on se les imagine, fait irruption dans ma chambre, les bras chargés de couvertures. Avant que j’ai pu comprendre si je rêve, la voilà au-dessus de moi. Un tourbillon. Elle sent fort le parfum. « Soy Rufina ! Hace frio en la sierra. » Tu parles, oui. Elle est tellement imposante penchée au-dessus de moi que je me sens comme un pois chiche. Sec. Elle soulève les draps, constate que je n’ai pas assez de couches, me recouvre de deux couvertures de laine supplémentaires, puis entreprend de me m’y enrouler comme un saucisson. Quand elle referme la porte, je suis immobilisée, les deux bras bien collés de chaque côté de mon corps. Si j’avais l’intention de dormir sur le côté, c’est tant pis pour moi. Dans la nuit froide, tandis que je me demande d’où m’est venue cette idée du pois chiche, une douce chaleur commence à se faire sentir. Bienheureuse soit Rufina.

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