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Catherine Hébert – Mango Films

Catherine Hébert, production de documentaires engagés.

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Kidira, frontière malienne

La brousse donc. À peine une semaine de marche. De l’extérieur, ce sont sept jours, ridicules dans le calendrier ou dans le cours d’une vie. Une page tournée dans l’agenda. De l’intérieur, un véritable voyage dans le voyage. Jour après jour, la chaleur nous a terrassés. Comme me l’a dit un vieux : « La chaleur ici, elle vous pique jusqu’aux os ». Oui. Elle nous a usés jusqu’au os. Hier soir, nous nous sommes posés, le corps cassé, le souffle court, les paupières brûlées, la peau des pieds desquamée, les talons crevassés (il devait bien faire 60 degrés dans mes chaussures). Et, en tête, cette pensée obsédante : mais de quoi est donc fait le peuple de la région du Fouta, et tous les peuples du Sahel, pour vivre, manger, bouger, baiser, exister dans cette chaleur qui transforme le toubab en loque humaine en moins de deux ?

Une journée en brousse. Le matin, nous marchons de 6h30 à 10h. 10km environ. Dès le cap de 10h passé, l’urgence se fait sentir. Trouver un refuge avant le coup de 11h, sinon, le monstre-soleil va nous engloutir. Et, franchement, ça ne fera aucune différence. La brousse rappelle l’humilité qui est de mise quand vous êtes un Homme blanc au pays de l’Homme noir. Ça vous rappelle aussi que les maux de l’esprit s’attaquent surtout aux biens nantis. Ici, c’est le corps qui commande. Il veut de l’ombre. Il veut de l’eau. Il veut respirer moins fort, de peur de se brûler les narines. Une fatigue indescriptible nous gagne. Il fait déjà près de 45 degrés. Le corps. Ne veut plus. Bouger.

Nous nous arrêtons dans un village. Chaque fois, nous sommes accueillis comme des frères. Il paraît que c’est ça la terangua (hospitalité) sénégalaise : l’étranger n’existe pas. « Ou s’il existe, comme me l’a dit un autre, alors mon propre fils est un étranger ». On étend au sol une natte pour nous. On nous donne un sceau d’eau pour se laver, une fête pour le corps meurtri qui est devenu le nôtre. Marc et moi nous allongeons en tentant de ne pas soupirer pour ne pas se décourager mutuellement. Les heures vont s’écouler à une lenteur effrayante. On somnole, on se réveille baignés de sueur, on sombre dans une léthargie dans laquelle j’ignorais pouvoir tomber. On attend. Sans pause entre ses questions, une femme me demande : Ça va ? Ça va encore ? Ça va toujours ?

Le mot attente serait ici un euphémisme. Je ne sais comment décrire notre immobilisme, l’état de prostration auquel nous sommes réduits.

À 17h, on repart. On mouille pantalon, chemise, chapeau et foulard pour créer un micro climat sur notre peau qui durera bien, bof, 30 minutes ? C’est déjà ça de gagné. Nous marcherons jusqu’à la tombée du jour. Il fait déjà noir quand nous nous posons pour la nuit. Ce n’est donc que le matin que nous découvrirons le visage de notre hôte, qui nous accueille, encore une fois, sans hésitation et sans méfiance aucune. Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde que deux toubabs débarquent dans sa cours et demandent le gîte pour la nuit. Impressionnant. Marc décharge Babel. Je m’étends sur une nouvelle natte, sous un ciel richement étoilé, qui semble n’avoir jamais hébergé le Dieu-soleil en son sein. Nos hôtes partagent avec nous leur maigre repas. Tout le monde mange lentement, et en silence. Comme nous sommes tous regroupés autour d’un même grand plat, chacun fait attention de ne pas grappiller la part du voisin à droite ou à gauche. Il m’arrive alors de penser au retour ; à la première fois que je remettrai les pieds dans un supermarché, moment que je redoute chaque fois que je rentre. Et là, je me questionne sérieusement sur le sort du monde sans pouvoir y apporter ne serait-ce qu’un gramme de réponse.

Nos nuits sont trop courtes. Nous n’arrivons à nous endormir que vers 2h du matin, quand le vent se rafraîchit enfin. Avant, nous tournoyons comme deux méchouis pour sécher le côté du corps côté matelas, trempé. Encore ? Encore. Toujours ? Toujours. Le premier appel à la prière nous réveille dès 5h. Eh oui, ils sont toujours là les muezzins, et à leur vigueur vocale, je me dis qu’eux ont dû très bien dormir.

Hier soir, épuisés, nous avons mis Babel sur un camion et avons franchi les derniers 150 km qui nous séparaient de la frontière malienne. On cherche comment on va faire pour la suite. Plus question de marcher : on ne finirait pas le voyage. Il y a bien un train qui se rend au Mali. On nous a dit qu’on pouvait y embarquer moutons, chèvres, et bœufs, mais pas d’âne… à voir.

Et le film dans tout ça ? Bien sûr, j’ai tourné comme j’ai pu. Bien sûr que tout ça ne sera pas dans le film. Je ne sais plus très bien ce qui appartient au film, ce qui appartient au voyage, et ce qui appartient aux deux. Je suis mon intuition, en espérant qu’elle est intacte et qu’elle n’a pas fondu à mon insu.

Je garde le très beau souvenir de deux petits bergers peuls. Ils sont frères. Alasan et Ali. L’un garde le troupeau de bœufs, et l’autre le troupeau de chèvres. Ils sont rapides, et je les perds parfois dans la savane qui s’étend à perte de vue. Quand je demande au plus petit, Alasan, quel âge il a, il regarde Malick qui m’accompagne avec un air gêné : « Je ne sais pas… » me répond-il. Et moi, je suis là, ridicule avec ma caméra entre les mains. Je n’ai plus de questions.

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