J’ai mis les pieds dans le nord de l’Ouganda pour la première fois en avril 2004. Pour y arriver, il faut traverser le Nil par le pont Karuma, à un endroit où le courant est particulièrement fort.
Une fois au nord, un pays étrangement désertique émerge. Il n’y a pas de village en vue, ni de bétail dans les champs. On pourrait croire que le pays entier est endormi. Aucun stigmate de guerre n’est apparent, sinon quelques squelettes de huttes, tout ayant déjà été détruit et envahi par les herbes sauvages.
Après 20 ans de conflit, le nord du pays n’est plus que l’ombre de lui-même : c’est tout le tissu social qui est détruit, toutes les ressources qui ont été gangrenées, tout un peuple qui se meurt à petit feu. Je n’arrivais pas à croire que ce conflit, qui éventre le pays depuis 20 ans, reçoive si peu d’attention.
L’Ouganda et son peuple nous forcent à reformuler notre définition de la guerre, trop souvent réduite à une imagerie violente. En Ouganda, on assiste à une destruction en chaîne — extraordinaire mais pas spectaculaire — de toute la société nord-ougandaise. Je souhaitais donc faire un film personnel qui ne se contenterait pas d’exposer le conflit, mais qui le ferait vivre de l’intérieur à travers le point de vue de ses gens.
C’est leur histoire qui constitue le point de départ de ce film. Celui-ci nous mène vers des personnages qui, chacun à leur façon, subissent au quotidien les affres de la guerre, mais qui préservent leur humanité grâce à leur résistance. Ces personnages aux histoires racontées en parallèle convergent vers une même réalité : celle d’une guerre insidieuse mais pérenne, sans grands éclats mais omniprésente, nourrie par des intérêts politiques inavouables mais manifestes.
À ce jour, personne au nord du Nil n’a été épargné, des enfants aux vieillards. Mais rarement a-t-on vu une guerre recevoir si peu d’écho. Il suffit pourtant de traverser le Nil pour entendre des voix percer le silence. Un silence aussi inexplicable qu’embarrassant.
Catherine Hébert