Comment je me suis mise en route entre Saint-Malo et Bamako
Il était très tôt un dimanche matin du mois de novembre 2008. Comme à l’habitude, j’ai allumé ma petite radio toujours syntonisée à la première chaîne de Radio-Canada. Ma petite radio porte en fait un nom : « Petite radio » tout simplement. Depuis dix ans, elle m’a accompagnée dans tous mes voyages et Juliette, ma jeune voisine de 15 ans, se plait à dire que « je ne pars jamais sans Petite radio ».
J’allume Petite radio donc. Jacques Bertrand était à la barre de l’émission Pourquoi pas dimanche. Il annonçait qu’il allait s’entretenir avec un lecteur public, un Marc Roger, qui projetait de marcher pendant un an, de Saint-Malo à Bamako, accompagné d’un âne-bibliothèque. Au fil des milliers de kilomètres qu’il allait parcourir, ce poète des temps modernes allait lire des extraits de livres dans les écoles, les villages et les places publiques. J’ai écouté l’entrevue. J’ai appris que ledit lecteur public est Français, qu’il est né à Bamako, et que ses parents sont enterrés à Saint-Malo. Deux extrêmes, un de vie, un de mort, tendent sa méridienne imaginaire, ou sa méridienne imaginée.
Je me suis réveillée deux heures plus tard en me demandant si j’avais rêvé : Un homme, lecteur public de surcroît, allait-il réellement entreprendre un voyage à pied de Saint-Malo à Bamako avec, comme seul compagnon de voyage, Babel, un âne? Le temps de me faire un café, que j’étais déjà devant mon ordinateur. Sans me presser, en y croyant plus ou moins, j’ai tapé « Saint-Malo », « Bamako » et « âne ». Un site web est pourtant apparu : www.saintmalobamako.net. Sur la page de présentation, intitulée La Méridienne du griot blanc, on pouvait lire :
5000 km – 5 pays – 160 lectures
Dimanche 31 mai 2009, je pars à pied, sur les chemins d’une Méridienne imaginaire qui va de Saint-Malo à Bamako, pour aller lire à voix haute, tout au long des 5000 kilomètres qui séparent les deux villes, romans, poèmes et nouvelles, d’auteurs de littérature française et étrangère.
Il existait donc bel et bien mon lecteur public. Drôle de hasard, puisque je partais trois jours plus tard pour Paris, où j’allais présenter mon film De l’autre côté du pays. Spontanément, j’ai écrit un courriel à Marc Roger pour lui manifester mon intérêt pour son projet et tâter le terrain pour une éventuelle rencontre. Il m’a répondu rapidement : il habitait Paris et souhaitait assister à la projection de mon film. Ce qu’il fit, accompagné de sa femme, Corinne.
C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Marc, tout simplement, après un matin d’insomnie, un courriel envoyé comme une bouteille à la mer, et une traversée de l’Atlantique.
Nous avons sympathisé. Je suis allée assister à l’une de ses lectures en banlieue de Paris. J’en suis revenue convaincue. Dans le train qui nous ramenait, Marc mangeait du chocolat noir aux écorces d’oranges confites. Il m’en a offert un morceau. Je lui ai fait ma grande demande : pouvais-je l’accompagner, et filmer son voyage et le mien ? Il m’a dit oui. Quelques mois plus tard, nous sommes partis.
« Le programme était vague, mais dans de pareilles affaires, l’essentiel est de partir. M’y voilà donc. J’étais parti. »
Nicolas Bouvier, L’usage du monde
Catherine Hébert