Nous venons de nous poser dans une petite ville. Pour cause de fatigue. Pour cause d’échec de notre logistique. La charette, qui devait être notre nouveau moyen de locomotion, n’a pas rempli ses promesses. Babel III refusait d’avancer.
On a d’abord débarqué mes bagages. Puis moi. Rien n’y faisait. Nous faisions du 3 ou 4 km /heure, soit le même rythme que lorsque nous marchions. « Il faut le frapper, nous a-t-on dit. C’est comme ça que les ânes sont habitués ici.» Sauf que Marc et moi, nous ne sommes pas habitués et n’avions pas envie de le devenir. Le bâton, c’est contre notre nature. Une forme de violence qui n’appartient pas à notre voyage. Ça casse l’esprit du périple. Aussi bien que la charrette brinquebalante qui nous empêchait de regarder, d’écouter. Il fallait sans cesse avoir les yeux fixés sur la route et les grincements de l’engin nous coupaient des sons de la nature. Nous nous retrouvions avec tous les inconvénients de la lenteur, mais sans les avantages, et surtout sans la satisfaction d’avoir conquis la route de nos pas.
Le moral de Marc était au plus bas. Je ne l’avais encore jamais vu comme ça. Écroulé de fatigue, il en a eu marre. Il a laissé la charrette dans un village, et a sauté dans un camion pour Ourossogui, première ville sur notre route où l’on pouvait trouver une chambre climatisée pour qu’il se repose. Marc a besoin de faire le point et le plein. Ourossogui : une de ces villes moches, chaotiques, qui a poussé pour des raisons commerciales uniquement.
Une vague de chaleur exceptionnelle souffle sur le Sahel. C’est insupportable. Même les Sénégalais qualifient le climat d’extrême. Même moi qui en ai sué d’autres en Afrique, je n’ai jamais dû fermer les yeux comme je le fais maintenant pour me protéger de l’harmattan, en feu. À midi, on ne sait plus si la menace vient du ciel ou du sol. Tout se confond dans une brûlure invisible qui ne s’apaisera que bien tard dans la nuit.
Marc a regardé la météo. On annonce 47 degrés pour aujourd’hui et demain, puis 45 pour le reste de la semaine. Ça correspond à plus de 50 degrés sur le goudron. Il faut compter un ou deux degrés de plus à Kayes, notre première desination au Mali. La décision de Marc est prise : plus question de marcher. On va se tuer. Donc, pour l’instant, nous sommes prostrés.
Quand je regarde dehors, qu’est-ce que je vois ?
Un silence qui dure.
Et de la poussière.
L’immobilité lourde.
Un peuple en attente dans un four.
Est-ce de la patience ou de la résignation?
Le soleil et la chaleur ont pris le peuple en otage. Un peuple pris dans un carcan d’immobilisme.
Marc doit prendre une décision pour le reste du voyage. Il souhaiterait ne pas perdre la lenteur du déplacement, mais ça risque d’être difficile. C’est pas comme si on avait plusieurs options pour se déplacer. À part les taxis brousse… Je vais quand même aller faire un tour à Matam, une ville sur le fleuve Sénégal, à quelques kilomètres d’ici pour voir s’il y a des pirogues qui remontent le fleuve… Juste pour voir. Je sais, je rêve en couleurs.
De mon côté, le moral est étonnamment bon. Je prends les choses comme elles viennent. Ça fait partie du road movie… Ou suis-je simplement tombée dans cette langueur molle, seul gage de survie ?